‘Née dans une famille d’origine bretonne exilée à Paris, j’ai été élevée dans un monde où le dialogue était inexistant, mais l’autorité, la discipline et le sens de l’effort plus que récompensés –imposés ! J’ai trouvé du réconfort dans les lectures et les rêves, un fort attrait pour la nature, le sport et la fête. Aînée (de quatre filles) et bonne élève aimée de ses professeurs, je crois avoir fourni un bon « modèle » jusqu’à l’adolescence.
Là, une petite rébellion s’est fait jour, vite contrée par un deal imposé par notre père : nous pourrions faire ce que nous voulions de notre vie et de nos rêves UNE FOIS de bonnes études accomplies et couronnées de succès. Après mon diplôme d’HEC (à l’époque HEC JF), j’ai commencé à travailler dans une entreprise privée en vue. Je me suis très vite sentie mal dans un milieu d’hommes d’affaires, prospères, sûrs de leurs choix et de leur bon droit, et épouvantée par leur arrogance, leur manque d’intérêt sur le plan humain, et leur manque de curiosité envers les autres. J’ai démissionné après un an, mais la liberté gagnée par mon diplôme me permettait de vivre mes rêves.
Et, à ce moment crucial, je prends conscience que je cerne parfaitement ce que je n’aime pas, mais que je suis profondément superficielle, un peu vide, en manque de sens, lucide sur mon manque de projet de vie. Le hasard (auquel je ne crois pas) fait qu’un ami proche de mon père, désolé de mon indolence insatisfaite, suggère que je postule à l’UNESCO, dont il connaissait le Directeur général. Je n’ai pas rencontré le DG mais dès que j’ai poussé la porte de cette institution qui m’était inconnue, j’ai senti que j’avais trouvé « ma place » dans ce milieu international, ce brassage de cultures.
Ma connaissance des langues et mon expérience m’ont permis d’être recrutée. Je découvrais un monde nouveau, légèrement enivrant. Je m’y sentais bien, mais n’avançais pas sur un plan personnel.
Quelque temps plus tard, (autre hasard auquel je ne crois pas…), je croise le chemin d’un groupe d’étudiants latino-américains, venus à Paris pour terminer leurs études, qu’ils finançaient par un « petit boulot » de coursiers à l’unesco : ils transmettaient le courrier d’un étage à l’autre, dans un joyeux bordel, conscients de leur différence et de leur charme. Des chiliens, brésiliens, péruviens, vénézuéliens. Et alors que je vivais une histoire romantique avec un diplomate indien issu de famille de maharajas, j’entame un dialogue inattendu avec le seul vénézuélien du groupe, qui deviendra mon mari et le père de mes deux filles. Avec le recul, je pense sincèrement être tombée amoureuse de l’idée du révolutionnaire ayant fuit son pays plus que de la personne. Mais, grâce à lui j’ai découvert d’autres codes, d’autres modes de pensée, de vivre, infiniment plus drôles mais profonds, et de fil en aiguille, nous avons décidé de nous installer au Vénézuela (je survole une année de relation, la naissance de notre première fille Aurélie, ma mise en disposition à l’unesco et mon départ tambour battant, au grand dam de mes parents, pour un pays inconnu).
Le Vénézuela a été un élément déclencheur : un choc . J’y ai découvert la pauvreté ordinaire et généralisée. En France, et en Europe, la pauvreté se limitait aux « nécessiteux » aidés par les paroisses et leurs dames des bonnes œuvres dans les beaux quartiers et par des personnes bienveillantes. Mais ces « personnes » restaient aux limites de notre monde confortable, chaque quartier cossu (comme le Vème où j’habitais) avait « son » clochard typique et sympathique, accompagné de bonnes âmes. Cyniquement, cela participait au mythe du Paris canaille.
Et le choc : ailleurs, la pauvreté non seulement existe, face à des fortunes extravagantes (là encore, une découverte ! En France l’opulence était discrète), mais elle concerne des pans entiers de la société, on peut en mourir. Je découvre un pays magnifique de par sa nature et son dynamisme. Entourée de notre fille aînée Aurélie, bientôt enceinte de notre deuxième fille Katia, j’entame cette découverte d’un monde joyeux, noyé de musique et de danse, chaleureux… mais très vite je me rends compte que ce pays « usine de miss univers » ne repose que sur l’apparence et l’appartenance sociale. Convertie à Paris par mon nouveau mari aux codes de l’après-mai 68, j’ai abordé ce nouveau monde avec un enthousiasme circonspect. Avec mes livres de Kate Millett sous le bras, en chaussures plates et robes indiennes, une chevelure extravagante, j’ai rapidement pris conscience que je ne correspondais pas au modèle souhaité et que jamais, jamais, je ne m’y ferais aucun, aucune amie dans le milieu social de mon mari. Je n’y étais pas la bienvenue, je m’y sentais mal.’
Dans notre section Blog, découvrez toute l’action de Françoise Pinzon-Gil et ses missions pour l’Unesco, sa rencontre avec des figures emblématiques de ce monde et son récit de souvenirs plus ‘terrains’ doux ou violents.
Je me régale, merci Sonia pour ce témoignage, j’attends la suite avec joie et envie!!
tendresses à toutes et tous
Lola
Bonjour Françoise
Où es-tu ? Que fais-tu ?
Depuis Barcelone, aucune nouvelle !
Cela nous ferait tellement plaisir de te revoir
Amitié
Liliane & Jean Pierre ARAGON