‘Tonalités de Femmes’:
– Vous êtes d’origine guinéenne mais vous avez des souvenirs de vie dans plusieurs pays d’Afrique et également en France où vous résidez… Vous dites avoir rédigé votre premier ouvrage pour expliquer les raisons de votre départ à vos parents. Comment décririez-vous l’exil ?
Cheick Oumar Kanté :
– L’exil ? Personne n’en prend le chemin de gaîté de cœur. « C’est un dur métier que l’exil ! » disait Nazim Hikmet.
J’ai emprunté l’affirmation pour en faire le titre d’un des chapitres de mon récit, “Orphelins de la Révolution” – Menaibuc 2004, d’où est extrait le passage suivant (pages 131 à 136) qu’il me suffit de donner à lire pour décrire une partie de ce que j’ai ressenti en franchissant la frontière de mon pays en 1970 :
“Dès cet instant, chaque mètre de latérite, chaque kilomètre de savane nous éloigne de la Guinée, « à jamais » peut-être ! Qui [le] sait ?! … En tout cas, ils nous rapprochent à une allure terrifiante du premier village malien.
Curieux ! Un début de nostalgie m’envahit. De la morosité si ce n’est pas de la dépression subite, en tout cas un grand sentiment d’avoir fauté. (…) J’ai rompu, je le sens très fort. Au niveau du nombril, j’éprouve des malaises lancinants, comme si j’avais avalé des tessons de bouteille, comme si avec des ciseaux, un chirurgien sadique me déchiquetait l’estomac et tous les viscères.
– Le mal du pays, pensé-je. [La douloureuse séparation ! Jamais je ne m’étais figuré qu’elle serait atroce à ce point.] (…)
La nostalgie de la demeure familiale, (…) les parfums qui ont embaumé les moments cruciaux de mon existence, je les sens me ré-imprégner par petites bouffées. Sans doute pour la dernière fois avant longtemps. Ou peut-être « à jamais ! » Qui peut [le] savoir ?! …
Je sens l’encens sur les [beaux boubous de maman], le henné en préparation pour l’embellissement de ses mains et de ses pieds qu’elle n’a pas du tout besoin de traiter à l’ancienne coutume chinoise pour ne pas les avoir trop grands, les arômes savoureux s’échappant des soupières achalandées avec art sur sa table et dans lesquelles j’ai toujours su trouver celles remplies de friandises, l’odeur de l’argent dans une certaine boîte métallique, très précieuse pour réunir le prix du ticket de cinéma ou de bal et, d’une manière générale, pour obtenir quelque argent de poche…
[Me prend la tête, à son tour, l’essence des peaux de nos mandarines. Quant à nos mangues aux senteurs délicieuses, je me surprends en train de remâcher leurs chairs juteuses. C’est l’odeur du quinquéliba matinal à moins que ce ne soit celle de la citronnelle, en périodes de grippe, qui maintenant me visite.
Même le chlore de la bijouterie de papa, une saleté qui n’a jamais ménagé son asthme, bien au contraire, devient tout à coup une émanation chère pour moi.
Il n’y a pas jusqu’aux embruns de l’eau de notre puits, pendant de longues années la seule potable dans le quartier, qui ne me chatouillent les narines, le visage et ne me reviennent dans la bouche par giclées bien rafraîchissantes…]
Monte alors en moi un cri de refus de l’exil pourtant volontaire, une révolte chantée, une ode à la mère-patrie…”
Extrait de ce chant :
“(…) La cage, à la longue,
S’est avérée trop étroite.
La faute n’est pas la tienne,
Tu es si prévoyante !
Elle n’est pas la leur non plus,
[Tes fils] sont si peu exigeants !
Accepte donc
Qu’à tire d’aile, ils s’échappent
Pendant qu’il est encore temps !
Douce Guinée,
Tu la comprends, n’est-ce pas, ta progéniture !
Ce n’est pas le hasard qui t’a faite femme” (…)
(En langue soussou, guinée signifie : femme)
Cheikh Oumar Kanté.
Hello ! Je me présente Rosie, j’ai 55 ans. Merci pour le post, j’aime beaucoup les idées développées dans ‘Orphelins de la Révolution’. Bonne journée ! Rosie