Des citoyens sans étiquettes, d’ici ou d’ailleurs, pour mieux connaître les sociétés d’aujourd’hui. Par Sonia Johnson.
Mlle Peggy exerce un beau métier, comme il en existe quelques-uns en France. Elle fait partie d’un corps de travailleurs un peu dans l’ombre, aux horaires parfois décalés, aux journées tellement chargées ‘qu’à quoi bon en parler’. Leur rôle est essentiel dans une société si souvent tournée sur elle-même. Des gens dépendent d’eux, au quotidien, ils rythment leurs journées, sont à leur écoute, ils les soignent avant tout et après leur passage, la route des accidents de santé s’est éclaircie, les bobos vont mieux. Ces professionnels ont choisi le libéral, avec ses risques et ses contraintes, mais avec surtout, une formidable liberté. Ils sont entre autres médecins urgentistes, biologistes médicaux, sages-femmes ou kinésithérapeutes.
Melle Peggy est infirmière indépendante. Elle a monté son cabinet et son carnet de rendez-vous déborde souvent. Quand elle arrive chez les gens, l’atmosphère est tout de suite plus légère, elle porte volontiers des couleurs vives, son sourire est sincère et son rire jamais très loin.
En plus de son rôle d’infirmière au quotidien, Melle Peggy se passionne pour l’écriture. Alors de son métier elle a fait un blog, et bientôt un livre, en tentant l’équilibre délicat de ne pas exposer ses patients, en racontant ses aventures souvent passionnantes et en partageant ses histoires, avec toujours un pied dans le soin… et un autre dans l’humain.
Témoignage de Mlle Peggy, dans ‘Portraits et Mentalités’.
Ma petite histoire.
On me demande souvent quelles ont été les raisons qui m’ont poussé à choisir le métier d’infirmière.
Longtemps je n’ai pas su répondre, je savais juste que ce n’était pas une « vocation » au sens strict du terme, dans la mesure où je considère que nous exerçons un métier qui exige un savoir-faire et un savoir être très spécifiques, une rigueur professionnelle sans failles qui relèvent d’une « profession » et non seulement d’une mission ou d’un appel.
Il n’est pas rare que les patients nous disent : « il faut vraiment avoir une vocation pour faire ce que vous faites ! »
J’ai souvent envie de répondre qu’il vaut mieux être solidement formé, motivé, rigoureux, sérieux, empathique, réactif, autonome, précis, entouré, soutenu, curieux, courageux, cette liste n’étant évidemment pas exhaustive, mais je n’ose pas car ils ne comprendraient pas, exercer un ministère est pour le commun de mortel une mission valorisante….
Les années sont passées, et je pense maintenant connaitre les origines de mon choix.
En réalité, mon père était un soignant d’une qualité exceptionnelle, reconnu par ses pairs et par l’Institution.
Son enterrement fut très émouvant, car les témoignages d’affection et de respect venant de la part de professionnels de santé mais aussi des patients et de leurs familles furent nombreux.
Ce jour-là, des véhicules du SAMU se sont déplacés, chefs de service, infirmiers, aides-soignants, cadres en blouses blanches lui ont rendu hommage en formant une haie d’honneur et en portant le cercueil ensemble une dernière fois.
Sa carrière hospitalière fut brillante, il aura été au service de l’humain, chaque jour, durant 40 ans, convaincu de son utilité malgré un exercice difficile et violent.
L’urgence, le SAMU, « la réa chir », « la réa polyvalente », « la neuro chir », seront ses champs de bataille, il y sera confronté au meilleur comme au pire, à l’indicible…
Il parlait peu, ne racontait pas les difficultés et pourtant, alors que j’étais tout jeune enfant, je devinais sa peine certains soirs, lorsqu’il rentrait de longues gardes interminables, de 72 heures parfois.
Son visage était marqué d’une fatigue intense, les yeux rougis par les larmes très certainement versées.
Je ne savais pas, je soupçonnais la souffrance mais je ne la connaissais pas.
Il partait souvent, brutalement, après un coup de fil et il restait longtemps à l’hôpital.
« Je suis de garde » ,« Papa est de Garde », cette « garde » était pour moi synonyme d’absence mais je ne savais pas ce qu’il y faisait, si bien que j’ai très tôt décidé de dire à l’école, à qui voulait bien l’entendre que mon père était explorateur, ce qui expliquait ses mystérieuses et si longues absences.
Avec le recul, je n’avais pas tort, c’était un explorateur !!!!
Quand j’ai enfin compris comment il occupait ses jours et ses nuits, mon père est devenu mon héros, il est le premier soignant que j’ai admiré.
Ses méthodes d’éducation étaient basées sur la communication et la transmission.
Les débats sur les Grandes Questions étaient légions à la maison, souvent enflammés, tout y passait le racisme, l’intolérance, l’acharnement thérapeutique, le terrorisme, l’indifférence, les conflits politiques, le sexisme et j’en passe…
Et puis un jour, il nous a réuni et nous a fait regarder un feuilleton des années 70 qui relatait l’histoire d’un esclave noir qui lutte pour obtenir sa liberté, « Racine », le choc est violent.
Plus tard, il n’hésitera pas à nous montrer« Holocauste », une série qui relate l’histoire d’une famille juive durant la seconde guerre mondiale.
La méthode était radicale.
Elle a été efficace.
Il nous a enseigné que l’Humanité était sans doute le meilleur choix que nous puissions faire.
Ses trois enfants sont devenus soignants.
Octobre 1999, mon père choisit de mourir épuisé par la maladie.
Septembre 2001
Je travaille dans un service de maladies infectieuses, 100% de malades du SIDA, en phase terminale, 100% de décès.
Une équipe difficile, un vécu professionnel tout aussi pénible…
Je rentre à la maison et j’allume machinalement la télévision.
Le son est coupé.
Je m’assois en soupirant, je regarde l’écran silencieux, à cet instant précis, les images qui suivront vont marquer ma vie et celles de millions de personnes, à tout jamais.
Le premier avion percute la première tour, je m’assois lentement, je n’ose pas réaliser, et pourtant….
Le second appareil entre dans le champ de l’image, je prends la télécommande et je monte progressivement le son du téléviseur, deuxième choc, je ne peux m’empêcher de porter ma main sur ma bouche et j’étouffe un cri…
Nous sommes le 11 septembre 2001.
Ce jour-là, des centaines de familles d’innocents vont être déchirées, des sauveteurs en tous genres vont mourir en secourant des milliers victimes.
Mes larmes coulent, une tristesse immense m’étreint, je ne connais pourtant pas ces gens qui courent affolés, terrorisés, brisés, mon père avait raison il y a l’humain et la barbarie à visage humain.
Depuis, j’ai compris son message.
La maladie est une espèce de terroriste fanatique.
Elle frappe n’importe qui, à tous les âges, tous les milieux, l’objectif est de ratisser large…
Elle utilise souvent une artillerie lourde en vue d’une destruction massive, tue en quelques semaines, quelques mois, détruit des familles, abrégé des histoires…
Exactement comme face au terrorisme, Chacun d’entre Nous est une cible potentielle.
Cette date a marqué chacun d’entre nous, tout le monde se souvient de ce qu’il faisait au moment de cette catastrophe.
Le « 11 septembre »,en regardant l’impensable encore une fois, j’ai su que je soignerais toujours, envers et contre tout.
A ce titre, je suis devenue un petit soldat du “prendre soin”, j’utilise les moyens qui me sont donnés pour aider les victimes, au-delà de la maîtrise des gestes et de la technicité, l’empathie et l’humanité sont mes meilleures armes.
A mon père, un héros parmi tant d’autres.