L’histoire est en marche,
Octobre 2013, Amsterdam
Ce vendredi est une journée compliquée.
Je voudrais passer mais j’ai peu de temps. Surtout, j’aimerais leur emmener deux gros sacs de course. C’est l’un ou l’autre, je choisis les courses. Mauvais calcul, aujourd’hui, ils avaient plus besoin de temps.
Ils veulent qu’on boive le thé ensemble, leur accueil est toujours chaleureux. Ici on parle du vrai sens de l’accueil, celui que seul les Africains ont la légitimité d’enseigner.
Le lien se fait plus facilement, en tous cas avec ceux que je connais déjà, Oumar, Mustapha, Koné, Mamadou, Mouthena. Des visages deviennent également familiers, on échange des salutations.
Les discussions sont vives en cette fin de matinée. Tout le monde est habillé, rempli d’espoir de voir enfin un quelconque déblocage de la paralysie de sa vie. A qui la faute ? est la grande question du jour. Les africains doivent s’aider eux-mêmes disent les uns, pourquoi tant de guerres sur nos terres ? Mais qui nous vend les armes répondent les autres, qui a placé des dictateurs corrompus à la tête de nos états ? C’est sans fin, ils ont le temps et défendent becs et ongles leurs idées. Mon agenda d’occidentale s’écoule quand à lui trop vite et je veux absolument saluer mon jeune guide du 3ème étage. Il me raconte son aller-retour en Belgique, son contact avec l’organisation no border camp, me montre la région d’où il vient sur une carte, c’est trop court. Sonia.
Sur la photo, Mouthena et Oumar
le défi du vivre ensemble,
Octobre 2013, Amsterdam
Cette fois pas de courses mais un peu plus de temps. Les lieux ont déjà beaucoup changé. De longs draps accrochés divisent l’espace, laissant à chacun un peu d’intimité. La section francophone est vraiment bien tenue. Le palier est très propre, l’intérieur organisé, la cuisine bouillonnante. Mais le ras le bol se fait sentir. Tout d’abord chez Oumar. Il a peu dormi cette nuit, il veillait l’entrée de l’immeuble. Contrôler les gens entrant et sortant ne lui pose pas de problèmes, non, ce qui l’énerve, c’est le non respect par les étages supérieurs, des règles en vigueur, proposées par le groupe d’Afrique de l’ouest : pas d’alcool, pas de personnes étrangères au groupe après une certaine heure, des tours pour les ordures, etc…malheureusement, certains n’entendent pas et ça, Oumar, il ne le supporte pas. ‘On n’est pas pareil, on ne fonctionne pas pareil. Les Néerlandais nous tendent la main, le maire nous tend la main. Nous devons donner une image parfaite de nous-mêmes ! Pourquoi ils ne se lèvent pas pour rendre la situation un peu plus vivable ? Pourquoi ?’
De son côté, Mamadou en charge de la répartition des denrées alimentaires est également au bord du ras-le bol. Il demande de l’aide et n’en obtient pas. Rapidement, je me rends compte que la situation entre communautés est tendue. Mais comment serait-elle différente ? Imaginons 267 Français, Anglais, Néerlandais, Italiens, ou encore Bulgares, vivant ensemble dans un même endroit. Sans histoire commune que celle de fuir la répression, de souffrir d’un exil brutal et de chercher à vivre une vie meilleure. Est-ce assez pour se taper dans le dos et fonctionner sans tensions ? Non, bien sûr, quand l’on sait que même au sein d’une famille les réajustements sont souvent nombreux…Je décide d’aider Mamadou à distribuer du pain frais, amené par un volontaire le matin même. Nous le déposons en bas, où finalement les gens viennent se servir. De vieux vêtements traînent par terre. Le jeune homme range, met à la poubelle des détritus, parle avec tout le monde, est clairement apprécié. Un leader naturel.
Il est temps de découvrir tous les étages, chaque palier a un nombre de mégots écrasés variable. Chacun son ambiance, chacun ses coutumes, chacun sa culture. Les différences entre chaque groupe sont énormes. Lybiens, Algériens, Somaliens, Erythréens, Ivoiriens, Maliens, Guinéens, Syriens, au total plus de 29 nationalités cohabitent dans ces centaines de m2, laissés à l’abandon par un promoteur allemand. Partout, à chaque étage, des regards de gens perdus, des histoires de fuite vers une meilleure sécurité. Ils sont déracinés, combatifs, parfois fatigués par la vie, tout simplement. J’ai de la peine aussi en disant au revoir à Mamadou. Il m’a parlé de ses deux enfants, de 7 et 3 ans, dont il n’a pas de nouvelles depuis deux ans. Sonia.