Elle te fait serrer fort ton oreiller avant de dormir, flirte avec tes songes et retarde le réveil. Elle rend chaque silence pesant, fait danser les pensées sombres et courtise la nostalgie. Elle complote avec l’ennui, sème le doute et s’incruste même dans les souvenirs joyeux. Elle débarque en pleine réunion, en plein diner, en plein footing, à l’improviste, toujours, et elle te met à genoux, à terre, à nu. Elle t’enlève le peu de confiance qu’il te reste et te plonge dans le vide. Elle te perce le cœur et te fait regretter ta famille, ta routine, ton pays, tes amis, et même tes ex et tes ennemis. Quand la solitude new-yorkaise s’abat sur toi comme un vautour sur sa proie, la tac-tic c’est l’attaque. Pas le choix. C’est dur, oui, mais si tu relèves pas la tête, tu risques de passer à côté de la chance de ta vie à cause d’un vague à l’âme lâche, mou, éphémère. Et quand tu viens vivre seul dans la ville la plus peuplée des States, miss solitude te fait forcement payer le prix fort à ton arrivée.
8 millions d’habitants. La ville ne dort jamais et les Américains sont plus sociables ‘que la plus bonne de tes copines’. Pourtant l’un des maux de la ville, surtout pour les expatriés, c’est la solitude. Et attention, je ne parle pas de ceux qui viennent en couple (quoi que) ou en coup de vent. Je parle vraiment de ceux qui y restent longtemps. Des années. Tout va très vite au cœur de la Pomme, mais le temps peut parfois sembler très long quand on y est seul. Les débuts ? Un enfer. On ne sait pas à qui parler, à qui se confier, avec qui rigoler. Alors on le fait avec n’importe qui, et c’est pas toujours une bonne idée. On apprend, on tâtonne, on se fraie un chemin, on devient un caméléon. Un caméléon solitaire.
La solitude c’est un sujet très tabou dans la ville du paraitre. Faut toujours avoir l’air frais, dispo, en forme et heureux. Tu peux pas dire facilement « j’me sens seul » à New York. Tu peux juste dire « Ca déchire j’adoreeee, mais j’peux pas te parler là, j’suis occupé ». Quelqu’un qui s’est expatrié pourrait éventuellement comprendre la détresse des débuts, il l’a vécu. Mon papa le sait lui par exemple, la France était hostile à son arrivée. Mais comment expliquer à tes amis, tes collègues, ta famille ou tes lecteurs qui te regardent comme un héros simplement parce que tu vis aux States, comment leur dire que le temps d’une soirée, tu donnerais tout pour retrouver l’inconfort de ton studio parisien, la douceur des bras de ta mère, la joie d’une virée entre amis à Saint Germain, le plaisir des repas de famille, la lumière grise parisienne, les voix ringardes en VF des séries télé et les Princes de Lu trempés dans du café au lait. Tu peux pas. Tu peux pas, en ayant toute ta tête, justifier cette envie de troc. Troquer NYC contre Paris, Marseille, Rennes ou Chinon. Personne comprendrait. Et pourtant cette envie est inévitable.
C’est alors qu’en pleine tristesse à la Oxmo Puccino, on se réveille et on se dit stop. Je vais rencontrer des gens bien, je vais me bouger, je vais voir New York autrement, je vais sortir de ma zone de confort. C’est là que la solitude devient constructive. L’énergie de New York est si vive que l’enfant seul va trouver un moyen de surmonter ce vide. Il y en a plein. Et je ne parle pas d’aller dans un bar et de boire à en oublier ton nom. Non non. New York te lance un défi, il faut le relever. Et la solitude (qui n’est pas l’ennui, hein, parce que pour le coup, l’ennui est impossible à NY) peut te pousser à faire des choses toutes nouvelles pour la contrer : apprendre à faire la cuisine, toi ex-chef des pâtes au beurre et des œufs brouillés. Le trop plein, tu le partages avec tes voisins, tu invites un collègue chouette, ou tu le portes au foyer du coin. Mais tu fais ressortir quelque chose de ce vide. Ca peut être embarquer un appareil photo et aller explorer les bords de Manhattan, regarder les gens passer, et prendre des clichés. Ou ranger ce jogging Quechua de chez Decathlon et ce gilet H&M, filer dans les friperies de Williamsburg trouver des pièces rares et originales et affirmer un style ignoré. Crée, compose, écris, lis, décore, range, sors, mais ne reste pas là à mastiquer ta tristesse. Parce que ça te ronge le cœur à l’acide et tu te retrouves à booker un billet pour Paris la semaine suivante. Et crois moi, une fois dans la grisaille du 7.5, c’est New York que tu regretteras.
Et puis finalement, à force de lui faire des pieds de nez à cette solitude, après quelques semaines, quelques mois de vide, de tes entrailles sort une force insoupçonnée, une force qui te permet d’être imbattable, fier et tu finis par plus le serrer cet oreiller avant de dormir. Quand j’allais courir par exemple, je courais cinq minutes de plus que mon objectif juste pour me prouver que j’étais capable. Je me droguais au travail pour pas trop penser et j’étais devenue super productive, alors que j’hésitais sur tout quelques semaines auparavant. Et quand je vivais des choses qui me semblaient exceptionnelles, (et au début ça arrivait souvent puisque je vous ai parlé de photographes de rue et de vendeurs de pralines comme si c’était des rock stars) et bien le soir, au lieu de me dire « Y’a rien à faire j’suis seule au monde » comme Corneille, je prenais mon ordinateur et je mettais des mots sur ces histoires… Et ces histoires, à défaut de pouvoir les partager avec quelqu’un, et bien je les postais sur le net. Le blog est né ainsi. Et si j’avais été entourée, occupée, ou si j’étais restée dans mon cocon confortable, je serais passée à côté. Pourtant aujourd’hui, ce blog c’est une fierté. C’est pas juste un blog, c’est un combat, un allié, une carte de visite, un récit, une mine d’informations, une source de divertissement. J’y ai rencontré des lecteurs exceptionnels, des internautes qui se retrouvaient dans mes écrits, certains sont devenus des amis. Alors peut être que là encore, en mettant le doigt sur l’un des pires maux de la société new-yorkaise, quelques un(e)s s’y reconnaitront… Même si parler de la solitude est bien plus difficile à faire que de parler des petits bonheurs américains, ce tabou, j’avais envie de l’évoquer depuis longtemps. Ca peut être ton pire ennemi comme ton meilleur allié. Sur le coup tu as les jambes coupées, mais elle te force à te relever, à te renforcer. Et quand tu y arrives enfin, if you can make it here, you can make it anywhere. Mais parfois le soir, tu serres à nouveau fort ton oreiller. Alors tu te dis demain, j’irai courir un quart d’heure de plus histoire de lui fermer sa gueule à cette foutue solitude.
The Travelin’ Girl
« This beautiful city seems empty, All the people in the world and you can still feel lonely » Alicia Keys.
Sympa l’article, j’aime bien ta façon d’écrire, A bientôt.
Tu penses comme moi 😉 et l’exprime vraiment bien.