L’obligation de m’exiler m’a causé, comme on voit, un sentiment de très grande culpabilité. Et, ceux qui ne se sont pas encore trouvés dans la situation de risquer leur vie pour espérer la sauver jetteront toujours les pierres les plus contondantes aux quidams échoués à Ceuta, à Melilla, à Lampedusa et ailleurs encore, pour parler des temps présents. Car, inaptes à comprendre les motivations du moindre candidat à “l’expatriation”, ils ne sont pas plus capables d’imaginer qu’au moment où son projet réussit, l’exilé ne rêve plus que du jour où il pourra retourner au bercail. N’étaient les tracasseries administratives et les agitations politiques démagogiques des pays de sa chute qui le poussent à choisir, parfois, une résidence dans la clandestinité alors qu’il n’aurait fait que passer ou bien arriver pour, presque aussitôt, repartir.
Et, pour en revenir à mes origines et à mes vies ailleurs qu’en Guinée, je vais tout vous raconter ou presque. Avec le patronyme donné par mon père, j’aurais pu – j’aurais dû – naître Malien. Il se trouve que j’ai vu le jour en Guinée où j’aurais dû, le « plus naturellement » du monde, être Malinké de la Haute Guinée. Je suis plutôt Peul pour être né à Labé, capitale de la Moyenne Guinée. J’aurais dû vivre et travailler au pays après des études supérieures de philosophie et de linguistique à Kankan. J’ai vécu l’exil, comme la plupart de mes copains de promotion, contraint et forcé par les Cerbères de la “Révolution globale et multiforme” décrétée en 1965 par Sékou Touré et ses thuriféraires pour décapiter tous les empêcheurs de penser en rond. Alors, j’ai plutôt entrepris des études de lettres modernes à Abidjan en Côte d’Ivoire où j’ai enseigné dans différentes autres villes, la première fois, pendant une quinzaine d’années.
Ensuite, j’ai opté pour une formation de journaliste à Bordeaux en France avant de retourner travailler encore en Côte d’Ivoire pendant trois ans jusqu’à la mort de Sékou Touré en Guinée en 1984. De 1985 à 1988, j’y ai créé et animé une revue trimestrielle sur l’école. Mais, ne pouvant plus la faire paraître dès le huitième numéro à cause des empêchements de toutes sortes aussi bien techniques (le numérique n’avait pas encore triomphé partout) que politiques (face à des ministres – de l’éducation, de l’information et de la culture – plus jaloux de leurs prérogatives et préoccupés par leur enrichissement personnel que par l’état du savoir et du savoir-faire de leurs administrés), je suis parti enseigner en Centrafrique jusqu’en 1992, date de mon installation en région Rhône-Alpes. De nationalité française, depuis, je voyage avec un passeport européen.
J’aime dire que je ne me vois même pas Noir dans ma zone d’habitation en France où j’ai des relations d’humain à humain avec tout le monde. Même si je suis conscient que « le séjour prolongé d’un tronc d’arbre dans l’eau ne le transformera jamais en crocodile », comme le dit ce proverbe africain rapporté par un écrivain malien. Il se trouvera toujours ici et là, je le sais, des xénophobes, des racistes pour estimer que je n’y suis pas chez moi, des ignares en vérité puisque les aléas de l’Histoire ont fait que je suis né Français, du temps de la Guinée Française, avant tous ceux – et ils sont plutôt nombreux – qui n’ont pas mon âge.
Pour toutes ces raisons, j’aime aussi me proclamer Afro-humain puisque je suis bel et bien la synthèse de tous mes pays d’exil. Et, me sentant donc mandingo-peul, guinéo-malien, ivoiro-centrafricain, franco-européen, je fais miens les problèmes du Mali, de la Côte d’Ivoire, de la Centrafrique, de la France, de l’Europe et, plus que jamais, ceux de la Guinée. L’on imagine l’épreuve que constitue le sentiment d’appartenir à tous ces pays, pas souvent gâtés par l’actualité, ni les uns, ni les autres !
Mais, même installé de longue date à l’étranger où j’ai fondé une famille, je pense souvent au jour où je pourrai offrir en retour l’hospitalité dans mon pays de naissance à tous ceux qui m’ont rendu l’exil supportable sinon confortable.
Mon “entrée en écriture”, autrement dit : la justification de la rédaction de mon premier livre qui ne sera édité qu’en cinquième position ? Je la révèle, en effet, dans “Trente-deux ans de rétention”– Menaibuc 2006 (Pages 9 et 10) :
“(…) Il me semblait si urgent de me justifier, d’accuser et d’expliquer !
Aux parents et amis, je tenais à révéler toute la peine endurée à avoir dû les quitter sans avoir pu les avertir d’aucune façon. Comme leur écrire des lettres attirerait sur eux les foudres de la Révolution, je pensais que seul un livre dont ils entendraient même un tant soit peu parler leur ferait accepter ma décision et, partant, atténuerait leurs inquiétudes…
Dégonfler le mythe de la Révolution était mon autre préoccupation. Je voulais coûte que coûte faire comprendre à son “Chef Suprême” que les Guinéens de ma génération n’ont pas été dupes. À la différence de la triade de petits singes sculptés sur bois, très célèbres dans toute l’Afrique, nous avons tout vu, nous ! Tout entendu, aussi. Et depuis longtemps, nous n’avons plus eu qu’une seule envie, celle de tout dire ! Entre autres vérités premières que la fameuse Révolution est un leurre immense, voire ridicule, s’il n’était suicidaire pour les Guinéens et pour la Guinée…”
Cheikh Oumar Kanté.
I just want to say thank you, great to have someone who can express our feelings. Exil is not only a word…