Plus de 700 migrants disparus en mer, encore un nouveau drame dans l’horreur vécue de ces candidats déboutés à l’exil, engloutis à jamais dans les eaux de la Méditerranée…on pourrait décliner les titres à l’infini, parce qu’injustement, il suffirait de changer de places les quelques mots disponibles pour illustrer l’horreur.
Les chiffres et les naufrages défilent, ils sont commentés dans la presse, sur les écrans de télévision, à la radio, rappelés sur Twitter et Face Book. Et puis les prochains drames, jamais loin, s’assureront consciencieusement de prendre le même chemin médiatique.
Migrants, exilés, réfugiés, naufragés, leur description s’arrête à ces fatales réalités. Morts sans même un prénom adossé à une photo, morts entre deux destinations, morts sans que nous, journalistes, ne puissions même raconter ce que fût leur réalité. Les grands reporters se sont parfois approchés au plus près de l’horreur des bateaux de traversées, des camps de Calais ou Lampedusa, ou auront pu recueillir, dans les pays abîmés, quelques espoirs… avant l’embarcation fatale.
Presque pire que la mort, n’est-ce pas l’indifférence dans laquelle ces pauvres gens disparaissent qui rend cette situation encore plus inhumaine ? Tout homme ne devrait-il pas avoir le droit d’être raconté après sa fin ? Même les pires bourreaux d’Occident finissent presque par attirer la pitié une fois partis. On cherche…on se questionne…sur les rôles des uns et des autres, sur les accidents de leur vie. Même eux ont droit à la compassion, si terriblement absente aujourd’hui.
Parce que si le monde savait qu’avant la guerre, dans son pays, Moussa 34 ans, était à la tête de l’équipe de foot de son village. Que ses enfants, avant qu’il ne parte lui avaient fait un beau dessin où était écrit en bas : papa revient vite. Sa femme le lui avait remis en le regardant avec les yeux de l’amour, en se gardant de pleurer, pour ne pas rendre la séparation encore plus lourde. Que c’était finalement pour eux 3 qu’il avait décidé de prendre le risque d’embarquer, après avoir donné ses économies au passeur. Si on savait que ses parents, vieillissants, avaient néanmoins accepté de garder les petits et leur maman, dans l’espoir d’une vie meilleure, pour chacun d’entre eux. Si on savait que quand il était jeune, Moussa avait bataillé dur pour étudier dans la grande ville la plus proche, qu’il avait tout donné pour réussir et que sans cette satanée guerre, il était promis à un bel avenir professionnel. Si on avait pu le voir sur une photo de classe, sur une photo d’équipe, ou sur une photo de famille, dans ses plus beaux habits, avec son plus beau sourire. Alors Moussa, victime avec 800 autres tous complètement différents de lui, aurait enfin une identité.
Lybie, Erythrée, Syrie, Ethiopie, Somalie…100, 200, 350, 500, 400… lire ces chiffres et ces noms de pays ne suffit pas à donner une mémoire, ne suffit pas à célébrer ceux qui ne sont plus. Combien de temps avant que leurs familles ne réalisent que les enfants de la famille faisaient partie des ‘800 disparus en mer Méditerranée’ de ce dimanche. Comment aller se recueillir dans ce cimetière marin, délibérément hostile ? Qui va raconter, nourrir, se rappeler, partager et aider les journalistes à reconstituer pour le monde une personnalité qui grâce aux témoignages, aux photos, aux interviews de proches redonnera, même un peu, un semblant de dignité humaine à tous ceux qui ont perdu la vie dans ces conditions atroces ?
Cette semaine, l’Union Européenne va se pencher sur le sort de ces oubliés; il est déjà bien tard. Il faudrait, en toute urgence, offrir à ces hommes, à ces femmes, à ces enfants, dont l’histoire de vie a autant de valeur que la nôtre, les moyens de vivre et non plus de survivre. Ici, ou là-bas.
Les photos diffusées ces deux dernières années n’attirant que péniblement la compassion, ce blog s’en passera.
Sonia Johnson.
Sonia
cet article m’a beaucoup touché face à l’indifférence du monde et au peu de moyens mis en action
MERCI
une goutte d’eau (la votre !)+ une goutte d’eau feront peut être :une rivière
La force de tes mots et la justesse de ton analyse…merci pour ce papier!
Cet article est très touchant vis à vis de cette brulante actualité.Le traitement de cette dernière par la presse était purement statistique .On y parlait des gens qui ont échoué dans leur entreprise comme si on parlait des chiffres.Une espèce d’addition macabre quoi.Mais…. derrière ces chiffres, il y a des aspirations ,une jeunesse, un mal vécu , un certain nombre de choses ….
Merci pour l’ingrédient humanitaire .
Très émue, Sonia, à la lecture de cet article. Merci de nous avoir réécrit ces drames de vies humaines, si souvent relatés dans les médias, avec de la retenue, du respect et du cœur. Cela nous les rend plus proches et l’horreur en est moins banalisée.
3 ans après, rien n’a changé pour ces hommes et ces femmmes, toujours plus nombreux, toujours plus en détresse. Finalement, une pause du projet Tonalités de Femmes va me permettre un engagement bénévole auprès d’eux. A venir aussi en Novembre 2018 pour nos visiteurs germanophones le livre de Tobias Müller, l’un des rares journalistes à raconter sans tricher et à se rendre au plus près sans s’économiser. Sonia.