Des citoyens sans étiquettes, d’ici ou d’ailleurs, pour mieux connaître les sociétés d’aujourd’hui. Par Sonia Johnson.
Jocelyne B. est une habitante des quartiers Nord de Marseille. Maman de six enfants, bénéficiaire d’une prestation sociale minimum, militante associative, elle partage son histoire avec un optimisme à toute épreuve.
Choquée par l’attentat de Charlie Hebdo
Mais Jocelyne n’est pas restée Charlie très longtemps.
‘ Je sais ce que je veux, je sais où je vais et je pense aussi savoir ce que l’on veut faire de nous…nous diviser. ‘
La mère de famille de 47 ans milite pour l’unité entre tous, la fraternité et l’égalité. A ses yeux, on est loin du compte. ‘ Nous devons nous battre contre la division. Je suis une femme déterminée à bâtir l’avenir de mes enfants. Et je ne lâcherai jamais. Impossible n’est pas français pour moi ! ‘
Une enfance en quête de repères
Jocelyne est née dans le 14ème arrondissement de Marseille, d’un père cheminot espagnol et d’une mère aux origines italiennes et corses. Elle est la benjamine d’une fratrie de 3 garçons et 3 filles. Du haut de ses six ans, la séparation de ses parents est vécue comme une perte du noyau familial, malgré la violence de son père envers ses frères. L’un deux, très proche de Jocelyne décèdera plus tard d’une leucémie, laissant deux enfants en bas-âge. Après un passage chez ses grands-parents, la nouvelle union de sa mère redonne une certaine stabilité à la jeune fille, elle reconnait le rôle de son beau-père à cette période là. ‘ J’ai eu beaucoup de difficultés à l’accepter, je ne voulais pas d’un remplaçant paternel. Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, je me révoltais sans cesse contre lui. J’ai fini par l’aimer, je savais au fond de moi qu’il était un bon repère dans ma vie, mon père était absent, je n’avais que lui. ‘
La découverte de l’Algérie
Après avoir obtenu un diplôme hôtelier, Jocelyne est enceinte de son premier enfant et décide de le garder, contre l’avis de son petit copain et de sa mère. Elle s’installe alors chez sa sœur, dans le quartier de La Busserine, avant d’obtenir un appartement dans le 5ème arrondissement de Marseille. ‘ J’ai commencé à préparer la venue de mon fils. J’étais heureuse même si j’étais seule. Cet enfant n’allait pas avoir de père mais je me sentais capable de l’assumer. ‘ Le système débrouille est en marche, le bébé arrive en 1987. ‘ Mon cœur débordait d’amour, j’ai vécu une vie tranquille. Je m’organisais avec les différentes associations d’aides pour nourrir et vêtir mon enfant. ‘ La jeune mère de famille trouve un emploi dans un établissement scolaire. Le rythme est intense et la moitié de son salaire sert à régler la garde de son fils. Puis, c’est la rencontre avec son premier mari et en 1990, la venue au monde de son deuxième garçon, Ryan. L’histoire de Jocelyne se construit avec des problèmes de couple, des horaires compliqués et une expérience difficile dans le 11ème arrondissement de Marseille. ‘ Je me levais à 4 heures du matin pour confier Ryan à une voisine. Puis j’emmenais mon aîné dans l’école où je travaillais. Je commençais à 6 heures pour finir à 15.30. Après 4 cambriolages en 3 mois, je me suis échappée de cette cité et j’ai trouvé un appartement dans le 4ème. Mais le loyer était cher. ‘ La première fille du couple naît en 1993. A cette époque, Jocelyne doit se battre contre sa phobie de la défenestration. Le nouvel appartement qu’elle obtient est situé au douzième étage de la cité ‘La Marine Bleue’. Elle décide aussi de quitter son emploi pour s’occuper de ses enfants. Cette période de vie est marquée par la découverte de la culture orientale après un long séjour en Algérie auprès de sa belle-famille. ‘ Je me suis remise en question. Je vivais en France confortablement et je cherchais pourtant à mieux vivre. Et là, je découvrais des gens dans le dénuement mais qui m’apparaissaient heureux et épanouis. J’ai compris que leur richesse était leur famille, un don de Dieu. ‘
Habitante de La Busserine
De retour en France après ce long séjour, Jocelyne met à profit ce qu’elle a observé, fascinée par l’humilité, le respect et la foi des algériens qu’elle a côtoyé, mais toujours en conflit avec son mari. Leur troisième fils vient au monde en 1995. Jocelyne a appris à cuisiner pour peu, à faire du pain maison et à coudre. ‘ Je me sentais vraiment mère au foyer. ‘ Et puis la famille a une offre dans le quartier de La Busserine, après la naissance de Aïsha, en 1998. ‘ Un T6 de 120 m2 ! Un premier étage barreaudé ! J’étais super heureuse car mes enfants étaient sécurisés ! ‘ Le quotidien de ce territoire animé correspond à Jocelyne. Les guinguettes l’été, les activités pour les enfants, l’ambiance, le mélange des cultures. Grâce à son aisance dans la langue arabe après des séjours réguliers en Algérie, elle ressent comme complète son intégration dans la cité.
Une relation mère-fils sous tension
Robin, le fils aîné de Jocelyne décroche du système scolaire et très vite, elle apprend qu’il est embrigadé dans un réseau de drogue. Il a 15 ans. ‘ Lui disait qu’il voulait m’aider financièrement, mais je ne voulais pas de cet argent, je ne voulais que la paix. Je l’ai traîné de force à la brigade des stupéfiants en demandant de l’aide. On m’a renvoyé comme une malpropre. J’ai écrit au procureur de la république. Aucune réponse. J’étais seule, seule ! ‘ Mais Jocelyne a du caractère et de la volonté. Son cœur de mère refuse d’imaginer son fils ‘ dans le caniveau, avec une balle dans la tête. ‘
La guerre contre le réseau
Une lutte acharnée commence avec le réseau de drogue dans lequel Robin est empêtré. Quand il veut s’en sortir, on le rattrape aussitôt. Jocelyne va donc le chercher tous les soirs pour le ramener à la maison. Elle affronte les dealers verbalement en se positionnant comme maître de la situation et surtout comme responsable de son fils mineur. Mais les représailles ne sont pas longues à venir. ‘ Porte cassée, impacts de balles dans la salle à manger, jets de sacs enflammés dans la cuisine, j’ai reçu une balle à blanc dans le genou droit. Cette lutte a duré 3 ans ! J’étais devenue une louve enragée. ‘ Jocelyne se transforme alors en ‘Sherlock Holmes’, répertoriant le nom de tous les trafiquants, identifiant le chef de réseau et son commerce parallèle. Puis elle le menace, lui fait du chantage. ‘ Je lui disais que s’il nous arrivait quoi que ce soit, il serait le premier à plonger en prison. J’ai cité son nom ainsi que celui de tous les autres. Finalement je lui ai fait comprendre que je n’étais qu’une mère qui défendait son petit. ‘ Sans la police et grâce à l’aide d’une éducatrice de rue, Jocelyne sauve son fils de l’enfer de la drogue. Mais elle est faible, vulnérable et décide de se faire aider par un psychiatre et un nutritionniste. Elle perdra 60 kilos en 2 ans. Sur internet, elle fait la connaissance de son deuxième mari, le retrouve en Algérie ponctuellement pendant 4 ans, avant de se marier à Mostaganem. Ils s’installent en France ensemble, elle est enceinte de son dernier enfant. Mais finalement, Jocelyne réalise ‘ que c’était une mascarade, un plan papier ‘ et demande le divorce.
Définir la vie comme un don à savourer pleinement
Jocelyne est altruiste. Elle héberge parfois des jeunes adultes démunis et essaye de faire du bien autour d’elle. Aujourd’hui, ses enfants écrivent à leur tour leurs histoires de vie. L’aîné est marié avec un emploi en CDI, le second a fait l’école du Louvre et travaille maintenant comme documentaliste dans un lycée. Sa première fille est éducatrice sportive, elle vit en couple et a un enfant. Le benjamin des garçons est bachelier en littérature, et les deux dernières sont encore à l’école. ‘ Je suis au RSA mais je suis riche. Riche d’expérience, riche d’amour, riche d’amitié et riche en renforcement de soi. ‘