‘Tonalités de Femmes’:
Cheick Oumar Kanté, “Pourquoi, diable, ai-je voulu devenir journaliste ?”
(Menaibuc – Paris 2004), est le titre de l’une de vos œuvres…
Cheick Oumar Kanté :
– C’est le premier titre, en effet, d’une série de livres sur mes métiers préférés. À savoir ceux du journaliste, du griot et du poète, exception faite de l’enseignant que j’ai été. J’ai écrit dans la foulée “Pourquoi, diable, n’ai-je pas été un griot ?” (Ou le doux rêve d’embrasser le métier de ma mère), un essai paru chez Ganndal à Conakry en 2006 et “Pourquoi, diable, n’ai-je pas été un… poète?”,
un « livret » de poésie, publié par les éditions Ndze à Paris en 2010.
En Guinée, la plupart des noms de famille, Il faut le savoir, renvoient à l’exercice d’une profession. Le dénommé “Untel” est un éleveur. Tounkara, par exemple, annonce un cordonnier. Diabaté – le patronyme de jeune fille de ma mère – fait penser à un griot (activité qu’elle-même n’a d’ailleurs jamais exercée pour des raisons à découvrir dans le livre qui lui est dédié). Kanté – celui de mon père –, désigne un forgeron. S’agissant de son cas, un peu particulier, il évoque un artisan sur argent et or. Et j’aurais pu, en toute logique, pratiquer le même métier si j’avais dû obéir à la tradition familiale, de type plutôt patriarcal. Ainsi, désirer seulement travailler comme l’aurait fait ma mère est-il une grande entorse aux habitudes, mais bien volontaire de ma part !
Dans “Pourquoi, diable, ai-je voulu devenir journaliste ?”, j’explique les raisons pour lesquelles je ne suis pas devenu un bijoutier tout en essayant de démontrer que l’orfèvrerie et l’écriture journalistique respectent la même déontologie et procèdent de la même technique.
Extrait tiré des pages 11 et 12 :
“Je n’utilise ni l’argent ni l’or – jaune ou blanc – pour fabriquer mes « bijoux » mais un matériau encore plus … « noble » ayant pour nom le mot, celui-là même sans lequel on ne saurait conférer aux objets toute leur valeur ! Avec lui, on peut révérer le beau, fustiger l’horreur, saisir la nuance… Il aide à exalter, à exhausser et à émouvoir dans le sens positif du terme parce qu’en donnant à voir, à entendre, à sentir et à ressentir, il permet de choisir devant n’importe quelle situation la meilleure alternative. Fait de sons, choisis avec minutie, et de sens, bien réfléchi, le mot est sans conteste le meilleur outil pour réconcilier à un moment donné les pires antagonismes qu’il a pu susciter à un autre moment !
Alors, il n’y a peut-être pas trop loin, tout compte fait, de la bijouterie à l’écriture. Et, par conséquent, je n’ai aucune raison d’en vouloir à mon père de ne m’avoir pas appris son métier.”
“Pourquoi, diable, ai-je voulu devenir journaliste ?” est une réflexion sur l’activité des professionnels de l’information, souvent rebaptisés historiens du présent.
C’est une sorte de livre-bilan à mi-parcours qui me permet de raconter ce que je croyais être le métier et ce que j’ai découvert qu’il pouvait devenir, dans sa pratique courante, en révélant bonheurs et déconvenues, avant d’offrir une sélection de mes meilleurs articles. En Annexes, je propose même, in extenso, une de mes conférences, celle sur les Médias et l’Afrique. Donnée à Villeurbanne en 2005, elle rappelle les fondamentaux du métier, explique comment il est exercé en Afrique et fustige les grilles d’analyse souvent paresseuses avec lesquelles de grands reporters étrangers, des Occidentaux, de façon singulière, relatent les problèmes du continent.
Le sentiment que je retire de cette réflexion ?
Une double frustration et demie !
Celle du journaliste qui ne peut en rien influer pour améliorer l’état du Monde car, il a plutôt le devoir de le raconter tel qu’il est.
Celle du griot qui n’est pas plus apte à faire changer le cours des choses même en ne chantant plus les louanges des puissants voire en brocardant plutôt et en pourfendant prédateurs, prévaricateurs et déprédateurs de tous acabits.
La demi-frustration, c’est celle de l’encore apprenti prosateur que je suis et qui aimerait bien entrer de plain-pied dans “le cercle” des grands “poètes apparus”. Eux seuls étant capables, me semble-t-il, d’anticiper les événements au lieu de les subir et, partant, d’imaginer des portes de sortie.
Serait-ce exprimer mon renoncement
à pratiquer les deux premiers métiers ? Sûrement pas !
Car, “Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer”, a dit – en son temps – Guillaume d’Orange.
Cheikh Oumar Kanté.
Merci pour ce beau témoignage. Mais je ne doute pas Monsieur Kanté que vous soyez bientôt dans le cercle des grands poêtes. Votre analyse de votre métier de journaliste et de griot est éclairante, et j’espère que vous continuerez à dénoncer les horreurs de ce monde et à glorifier l’espoir de ceux qui luttent pour le changer.